Les 65 ans et plus représentent plus de 50% des admissions à l'hôpital qui se présentent avec leurs complexités. L'Urgence de l'Hôtel-Dieu de Sherbrooke a mis en place une organisation de soins adaptés aux patients aînés. L'équipe spécialisée se mobilise, tout y est réfléchi, de l'implication des proches, jusqu'aux fauteuils plus confortables pour favoriser la mobilité. Les résultats sont probants : diminution des admissions, des durées de séjour et des complications.
Entrevue avec Maryse Grégoire, Conseillère cadre clinicienne-urgence CIUSSS de L'Estrie-CHUS
Comment s'est développé ce projet ?
Dre Audrey-Anne Brousseau, urgentologue, a fait une spécialité en urgence gériatrique à Toronto. Elle avait le goût de s'investir pour des interventions auprès de la clientèle plus âgée pour une meilleure prise en charge dans l'objectif de réduire les hospitalisations.
On a donc élaboré un projet et puis on l'a soumis aux différentes instances de notre organisation. Rapidement, un plan d'action s'est mis en branle pour avoir sur place une infirmière en gériatrie et un physiothérapeute. Un comité de l'urgence gériatrique multidisciplinaire s'est formé. On a produit des formulaires d'ordonnances avec des dosages gériatriques, des formations pour les infirmières et les médecins, des protocoles pour informer les patients et les familles.
Souvent on pense que l'urgence est toujours la porte d'entrée vers l'hospitalisation, mais c'est faux. Une urgence, est un plateau technique et humain complet, qui est outillé pour répondre aux besoins des aînés, limiter les hospitalisations et favoriser la liaison pour des soins sécuritaires en communauté. C'est ça l'objectif d'une urgence.
Comment se passe l'évaluation d'un patient âgé à son arrivée?
L'équipe médicale et clinique sont proactives dès le triage. Il faut identifier rapidement s'il présente un délirium, parce que les personnes âgées sont très vulnérables à cette situation. Parfois c'est causé par une infection ou une douleur. Il faut reconnaître la problématique pour être en mesure de le sortir de son état confusionnel.
L'investigation de la personne âgée prend souvent plusieurs heures. Pendant ce temps, il faut qu'on la garde active, selon son état de santé. Elle doit marcher, boire, manger, se rendre aux toilettes. Le physiothérapeute à l'urgence en profite pour l'évaluer : problème d'équilibre, chute, besoin de marchette, aide technique.
Plus cette clientèle demeure à l'urgence longtemps, immobile, rapidement elle se déconditionne et perd ses repères. Ça peut même avoir un impact sur le retour à domicile.
La famille est-elle incluse dans le processus?
Il faut travailler avec les familles. C'est important de les mettre à contribution pour bien évaluer le patient et ses problématiques médicales et sociales. Elles peuvent nous renseigner sur tout l'aspect des problèmes cognitifs et fonctionnels des aînés. On peut ensuite adapter nos interventions d'urgence, mais aussi planifier la sortie.
On va jusqu'à donner de la formation, par exemple, pour prévenir les chutes. Chaque chose que l'on fait, c'est pour améliorer la prise en charge de la clientèle, pour s'assurer qu'elle retourne à domicile d'une façon sécuritaire, et éviter des hospitalisations.
Constatez-vous des résultats probants à cette nouvelle façon de faire ?
Avant la COVID-19, nous avions réussi à diminuer le pourcentage d'admission absolu de 5%, sans augmenter le séjour à l'urgence. Les consultations avec l'infirmière en gériatrie et le physiothérapeute résultent en plus de 60% de départs à domicile avec un plan de suivi externe individualisé. Ce résultat a un impact sur la diminution des admissions évitables.
La trajectoire des services est-elle simplifiée?
Oui, on a des travaux en cours, entre autres, pour le domicile, les ressources intermédiaires, les résidences... On documente et on transfère l'information pour des soins mieux adaptés. L'infirmière en gériatrie pourra référer le patient rapidement à des services désignés. Si la personne âgée a des difficultés, la travailleuse sociale est là pour aider.
De quelle façon innovez-vous ?
Nous avons plusieurs projets qui solidifient l'urgence gériatrique et assurent sa pérennité.
Par exemple, on a acheté pour le laboratoire de simulation des combinaisons articulées qui donnent l'impression que vous avez 85 ans. Cela permet de se mettre dans la peau d'une personne âgée et ça conscientise le personnel.
On a aussi un projet de recherche pour évaluer les effets de l'intervention sur la clientèle. Ça prend de bons outils cliniques qui répondent aux normes et sont approuvés par les instances.
Votre modèle se multiplie?
À l'Hôpital Brome-Missisquoi-Perkins, nous avons obtenu l'accréditation de l'American College of Emergency Physicians, une entité qui nous guide par des critères précis.
Au CIUSSS de l'Estrie-CHUS, nous avons neuf urgences. Nous commençons à y implanter nos outils. Certains de nos médecins et de nos infirmières travaillent sur plusieurs sites, ça facilite le partage des pratiques. Cette adaptation de services a fait ses preuves et a montré qu'elle est transférable.
Est-ce que ces urgences gériatriques pourraient être implantées ailleurs au Québec ?
Oui, la direction nationale des urgences du Québec a eu vent de notre accréditation et nous a demandé d'élaborer un cadre de référence pour les urgences gériatriques. Cela sera inclus dans le guide de gestion des urgences. Tous nos travaux vont être disponibles pour l'ensemble des urgences du Québec. Elles pourront l'utiliser et l'adapter selon leurs besoins.
Quel est votre secret derrière ce succès ?
Nous vivons vieux aujourd'hui, c'est le privilège des pays industrialisés comme le nôtre, mais il faut bien vivre. Ce n'est pas parce qu'on est âgé qu'on n'a plus nos capacités. Ça prend une volonté médicale, une chef de service comme Dre Brousseau, qui s'investit pour assurer le suivi, et une équipe multidisciplinaire pour l'épauler. Tout le monde a son rôle.
Il ne faut pas négliger de tout documenter pour bien pouvoir analyser nos actions et les partager.